16 Jan 2013

La traçabilité des minerais stannifère : Doit-on aller au-delà des frontières Congolaises ?


Lors de ma récente visite à Kigoma (Tanzanie), j’ai découvert un itinéraire par lequel les minerais congolais sont soustraits à la taxation congolaise. Pour les négociants tanzaniens que j’ai vu, ces minerais ne sont pas frauduleux et ne participent pas à la guerre à l’est mais ceci est très discutable. Ce problème demande une attention particulière puisque les seules personnes auxquelles le trafic bénéficie vivant a l’étranger. Dans cet article je rapporte un extrait de ma conversation avec Salumu, un négociant de père Tanzanien et de mère Congolaise Nkusu.

Moi : Assalam Alaykum Salumu, je m’appelle Soraya et je suis Congolaise. J’ai appris que vous achetez des minerais au Congo que vous revendez à l’étranger. Pourquoi les minerais Congolais et pas Tanzaniens ?
Salumu : Waalaykum Salaam ma sœur. Moi j’ai une autorisation Tanzanienne pour l’exploitation artisanale des minerais mais pour le moment la qualité et la quantité que nous obtenons en Tanzanie ne nous permet pas de vivre. J’ai alors entrepris de me tourner vers le Congo.

Moi : Comment vous, un Tanzanien, arrivez à exploiter des minerais au Congo (de manière artisanale) ?
Salumu : En fait je n’exploite pas. Je fais l’exploration, et je facilite l’installation des Small Scale Miners (SSM) moyennant des frais de consultance. Eux utilisent des méthodes sophistiquées et des broyeurs. J’use de mes connaissances en géologie (autodidacte) et de mes relations avec les autorités locales pour identifier des carrières, et j’intéresse les SSM. Eux achètent ensuite les droits d’exploitation auprès du gouvernement. Depuis peu, les tracasseries administratives découragent les sociétés pour lesquelles je facilitais cette installation. En attendant de trouver des SSM j’exploite moi-même de façon artisanale. Je suis aussi le représentant de certaines compagnies Tanzaniennes au niveau congolais.

Moi : Avez-vous pense que votre implication pourrait couter la vie a des centaines des personnes ? Il y a quand même un lien bien établit entre la guerre à l’est de la RDC et l’exploitation artisanale illégale.
Salumu : Je n’opère pas dans les zones contrôlées par les forces armées puisqu’ils ont leurs propres artisanaux, leurs propres négociants et leurs propres fournisseurs des vivres. Et aussi je reste loin de l’or. Je me concentre surtout sur le platine et la cassitérite. J’ai récemment commence à répertorier les carrières de cuivre aussi. Ce sont des minerais qui n’intéressent pas trop les groupes armes et les chefs locaux ne demandent pas beaucoup en contrepartie d’une autorisation d’exploitation.

Moi : Qui vous donne cette autorisation, et que donnez-vous en contrepartie ? Travaillez-vous avec le ministère ou la division des mines ?
Salumu : Au Congo, en dehors des grandes cites, il n’y a pas d’autorité étatique. Vous travaillez avec qui vous avez en face de vous. Avec ou sans les autorisations de Bukavu ou Kindu, c’est finalement le chef de village le plus proche de la carrière qui vous autorise l’exploitation. En général contre un bidon d’huile de palme raffinée, un matelas, un sac de sel ou des bèches et pioches neuves. La valeur totale dépasse rarement 100 $ et vous donne une autorisation de trois à six mois, ce qui est généralement suffisant pour rentrer dans mes frais, faire un petit profit et trouver un SSM intéressé pour une exploitation proprement dite. Ce n’est pas tant une acquisition du droit d’exploitation que des échanges des cadeaux entre amis.

Moi : Racontez-moi un voyage typique
Salumu : voici Mwajuma, mon partenaire. Elle et moi prenons une embarcation vers le Congo. Nous y sommes en deux heures. Nous voyageons alors vers le Maniema, ou nous restons dans Fizi, mais dans des zones où il n’y a pas d’autres exploitants. Nous rencontrons le chef de village et nous lui expliquons que nous voulons exploiter la carrière près de son village. Il nous autorise verbalement et nous engageons des locaux pour l’exploitation. Nous utilisons des méthodes traditionnelles, avec des fois un détecteur de métal. Je laisse Mwajuma sur les lieux, et je reviens à Kigoma pour amorcer les démarches d’exportation.

Moi : Et comment acheminez-vous la marchandise vers l’extérieur ?
Salumu : Une fois à Kigoma J’établis des faux documents au nom du ministère des mines Congolais qui certifient que j’ai payé tous les droits d’exploitations. Notes ma sœur, que je ne sais pas avoir ces documents autrement puisque le représentant de la division des mines le plus proche habite a des jours de marche, en direction opposée de mon itinéraire. Souvent il ne dispose même pas de la nomenclature officielle en matière des minerais que j’acheté. Au moment où Mwajuma est prête, elle voyage avec la cargaison de la carrière a la plage. De mon cote, je quitte Kigoma de nuit, nous ramenons la cargaison jusqu’au port de Kibirizi ou nous nous arrangeons pour arriver avant l’aube. Je remplis les pointilles avec les quantités, et au petit matin je fais enregistrer la cargaison. J’emmené ensuite les faux documents au consulat congolais pour traduction et certification. J’utilise les documents certifiés pour obtenir des documents de transit, et je peux ensuite emmener la cargaison à Dar-Es-Salaam par train ou par route.

Moi : Au moment de la certification des documents, comment savent-ils qu’ils ne sont pas faux ?
Salumu : Ils ne posent pas de question. Ils savent probablement, mais puisque eux même nous demandent des prix exorbitants, nous nous réservons aussi de poser des questions. Par exemple, pour une cargaison de 150 tonnes de cassitérite, nous payons 1500$ pour la traduction et 3000 pour la certification des faux documents Congolais.



Moi : qu’avez-vous en stock pour le moment ?
Salumu : 150 tonnes de cassitérite, du coltan, du wolfram et 50kg de roche contenant 3% de platine au niveau de Dar-Es-Saalam. Mais cette dernière cargaison est difficile à écouler puisque nous n’avons pas pu établir les faux documents, et nous avons prétendu l’avoir obtenue dans des carrières nationales. Nous n’arrivons pas à le prouver et de ce fait à obtenir une autorisation d’exportation légale.

Moi : quelles sont les difficultés que vous rencontrez lors de ce parcours du Congo vers la Tanzanie?
Salumu : d’abord nous ne savons pas toujours à qui nous adresser au niveau local. Le chef de village, le chef de secteur, de localité etc. ensuite, nous accostons à des endroits inappropriés. Les commandants des groupes armés, qu’ils soient de l’armée régulière ou des groupes rebelles et/ou forces négatives exigent des vivres pour leurs troupes. Enfin, nous sommes obligés de forger nous-même des documents, pour lesquels nous payons des fois, plus cher que les originaux. Toutes ces tracasseries seraient évitées si nous pouvions avoir des autorités minières légales sur notre route.

Apres avoir remercié Salumu, j’ai continué ma visite de Kigoma, et j’ai eu à voir sa cargaison de 150 tonnes de cassitérites déchargée au Port de Kigoma. J’y ai aussi vu une importante cargaison de calcaire en partance pour Kalemie, et des sacs de charbon de bois à destination de Fizi. La production de charbon de bois est illégale en Tanzanie depuis plusieurs années, mais le marché Congolais continue de renforcer la contrebande. Du coté Congolais, surtout dans la collectivité de Mutambala à Fizi, le charbon est une denrée rare depuis que la forêt y est protégée. Ceci a haussé le prix d’un sac de charbon de bois a plus de 25 dollars, attirant ainsi le charbon issu de la contrebande Tanzanienne.

J’ai ensuite passe l’après-midi à repenser au port de Baraka. Avec des infrastructures complètes, il pourrait y avoir un bureau pour certifier la légalité de l’exportation des minerais stannifères. Malheureusement le processus de certification actuel ne prend pas en compte la situation de Hamisi et de centaines d’autres étrangers exploitant les carrières Congolaises et ne sait pas couvrir les zones sans bureau de certification. Entre temps, ces minerais continuent d’être achemines du fond de la jungle Congolaise vers des destinations internationales sans bénéficier a un seul Congolais, sinon quelques personnes au consulat Congolais de Kigoma.


Une solution intermédiaire serait pour les deux pays (Tanzanie et RDC) de signer à travers leurs provinces frontalières (Kigoma et sud Kivu) un protocole d’accord sur les modalités d’importation et d’exportation des minerais et autres matières premières le long de cette frontière.

2 comments:

  1. Magnifique ! Je viens de lire cet article, en tout cas, bravo ! Il y a à manger et à boire dans cette situation (groupes armés, frontières fragiles...) à l'Est de la RDC ! Il y a un réel problème de traçabilité de nos minerais ! Un tanzanien qui parvient à exploiter nos minerais de façon artisanale, je ne comprends rien ! En tout
    cas, je me questionne beaucoup !

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