15 May 2014

A propos des progrès de la RDC en matiere d'education...

Cet article est ma réaction aux chiffres sur l’éducation récemment publiés par Matata Ponyo, Premier ministre de la RDC (PM). J’entends démontrer par des sources indépendantes que ces chiffres ne sont pas nécessairement le reflet de la réalité sur terrain, et que quand bien même l’intention serait de les atteindre la stratégie mise en place par le gouvernement n’est pas appropriée pour relever le défi que présente le secteur de l’éducation en RDC.


Ce Lundi 12 Mai 2014, sur son compte twitter, le PM a fourni un bref aperçu de sa présentation a Oman sur la rencontre Education Pour Tous. Les neufs tweets qui ont suivis ce tweet parlent des objectifs de cette rencontre, puis de la présentation du secteur de l’éducation Congo et reportent « des progrès significatifs » qui lui ont valut les félicitations de plusieurs acteurs et medias internationaux :

I am in Oman to attend the annual Global EFA (Education for All) Meeting with #unesco member states representatives: http://t.co/flbxevcwrB

— MATATA PONYO Mapon (@Mapon_Matata) May 12, 2014
- Education is a top priority for DRC. The budget allocated to #education grew from 6% ESP in 2007 to 16,04% ESP in 2014 @GEMOmanSummit
- 109,375 teachers have been hired between 2007 and 2014 with ‘‘Bancarisation’’ of their pay. We also created a teachers’ Health care Mutual.
- Among the improvments [sic] for access to #education in #DRC : free primary education launched in 2010 & Construction of 1,000 schools in 2013-14
- Il reste des défis : 3,5 M d’enfants à scolariser, la construction de + 20000 écoles... Pour l'émergence 2030, une seule voie : l'éducation

Apres plusieurs questions et critiques des Congolais sur twitter remettant en question les chiffres et les avancées présentées, le compte official de la Primature de la RDC a posté un lien pour mieux expliquer le programme des 1000 écoles. Je me penche d’abord sur les chiffres avancés avant d’examiner la pertinence de la strategi mise en place. Il est important de souligner que je n’ai pas eu acces a la presentation du PM et que mes remarques se fondent exclusivement sur ses tweets et sur l’article de Jeune Afrique Magazine qui a couvert cette ovation.

A. Les chiffres et les avancées reportés

S’agissant de l’accroissement du budget de l’éducation, que le PM considère comme un indicatif de l’inscription de l’éducation sur la liste des priorités nationales depuis 2007, il est important de souligner la courbe suivante Adaptée des sources (1, 2 et 3) :


Comme on peut le voir sur ce graphique, ce n’est pas avant 2010 que le budget de l’éducation a commencé à croitre, et non à partir de 2007 comme le présente le PM (est-ce dans le but de créditer le premier mandat présidentiel de l’AMP?). De plus, il est opportun de préciser qu’en 2012 par exemple, les dépenses en éducation ne représentent que près de 7% du budget général de l’Etat (mais dans sa façon de rapporter le PM insiste sur le pourcentage par rapport aux ressources budgétaires propres à l’Etat et donc près de 13,5%). Cette façon de reporter est malicieuse et malhonnête.
De plus, comme le souligne le plan stratégique de l’éducation de 2010:

« Malgré l’augmentation des recettes de l’État au cours de la période, les dépenses publiques en faveur de l’EPSP n’ont cessé de décroître, que ce soit en pourcentage des recettes, du PIB ou des dépenses totales. Cette situation a eu pour conséquence le délabrement des infrastructures scolaires et l’insuffisance des équipements et des matériels pédagogiques. A cette situation déplorable s’ajoute le transfert de la charge de l’État vers les ménages avec, comme corollaire, la baisse du niveau de scolarisation, de nombreux enfants ne pouvant accéder à l’éducation en raison du montant des frais scolaires ».
Le bilan du gouvernement 2006-2011 a eu un impact très négatif sur l’éducation. Un bilan qui frôle le sabotage.

- S’agissant de la bancarisation de la paie il eut été important de souligner que plusieurs difficultés techniques persistent à raison du nombre très réduit des institutions financières partenaires dans l’implémentation de cette politique en avance sur les infrastructures existantes. Ceci a souvent un impact négatif sur la qualité de l’enseignement étant donne que certains enseignants doivent s’absenter plusieurs jours par mois pour se rendre au guichet de paie. L’opération permet quand même au gouvernement d’économiser plusieurs millions de dollars par an et reste à saluer. Elle permet aussi la mise en place des services de sécurité sociale (mutuelle de santé, pension de retraite etc., à condition que les centres de sante suivent)

- S’agissant de l’éducation gratuite, il est curieux de constater que cette gratuité ne s’accompagne pas d’une augmentation conséquente du budget national de l’éducation. La faible augmentation constatée semble progressive et ne peut donc pas couvrir tout de go les frais liés à une éducation primaire gratuite pour tous. Mes observations personnelles sur terrain m’ont permis de constater plusieurs problèmes : Plusieurs écoles primaires ne sont pas mécanisées. Ceci signifie tout simplement qu’elles ne sont pas sur la fiche de paie du ministère de l’éducation. Dans certaines écoles, seule une partie des enseignants sont payes. Même dans les écoles ou tous les enseignants sont payés, le salaire de l’enseignant de l’école primaire reste souvent moins de 100$ par mois. Le salaire faible des enseignants ne constituant pas une motivation suffisante, les parents doivent presque toujours contribuer aux frais scolaires à travers la fameuse prime pour lever un tant soit peu la rémunération des enseignants.

- S’agissant de la construction de 1000 nouvelles écoles à travers le Projet de réhabilitation et de reconstruction des Infrastructures Scolaires (PRRIS), le lien de la Primature renvoie à une vidéo mais rien ne permet d’effectuer une vérification. Les écoles construites dans le territoire de Rutshuru semblent être situées dans les mêmes groupements que celles reconstruites par un fond spécial visant le désenclavement de zones sinistrées par la guerre (rébellion m23). Ma demande visait à obtenir une liste exhaustive des 600/1000 écoles construites ou réhabilitées à ce jour afin d’effectuer une vérification auprès des organisations de la société civile opérant localement. Aucun lien n’a été fourni dans ce sens, nous attendons donc le rapport d’activités, si jamais il vient.

- S’agissant des écoles qui restent à construire, le PM a dit que 3,5M d’enfant en âge de scolarité n’étaient pas à l’école et que le défi était de construire 20,000 nouvelles écoles. Comment obtient-il ce chiffre ? Les normes Congolaises veulent qu’une salle de classe ne comporte pas plus de 30 élèves. Avec une moyenne de 6 classes par écoles, le nombre d’écoles nécessaires pour scolariser 3,5M d’enfants est donc de près de 19,445 écoles arrondies a 20,000. Ce chiffre est vrai pour l’année 2014. Entendu que la moyenne de construction des écoles est de 1000 écoles par an (à prouver), il faudrait à l’Etat Congolais vingt ans pour construire les 20,000 écoles. Il le confirme d’ailleurs en parlant des horizons 2030 pour la fin du programme. Et la croissance démographique estimée a 2,5% pendant ce temps ?

- S’agissant des défis qui restent à couvrir, j’ai soutenu dans un tweet que 7M d’enfants en âge de scolarité n’allaient pas à l’école. Ma source pour cette affirmation est le rapport « Jeunesse Congolaise, Potentiel et opportunité » de YouthMap, publie en Décembre 2013 et disponible ici. Ce rapport qui se fonde sur les recherches et publications de l’UNICEF 2013 contredit directement les 3.5M proclamés par le PM. La marge d’erreur ne peut être de 100%, et j’en conclut donc que des deux sources l’une se trompe complétement et induit l’opinion en erreur.

Avant d’évaluer la pertinence de la stratégie, il est important de souligner que je ne remets pas en question toutes les avancées. Le gouvernement 2011-2014 a mis en place une politique spéciale de relance du système éducatif et il y a plusieurs points positifs que je pourrais détailler dans un article à venir. Cet article-ci vise seulement à remettre en question les affirmations du PM.

B. Quelles sont les priorités nationales en matière d’éducation ?

Dans le PAP de 2010, le Gouvernement s’était fixé comme objectif de réaliser l’enseignement primaire universel à l’horizon 2010 en relevant les défis du secteur éducatif selon six axes stratégiques :
(i) l’amélioration de l’accès, de l’équité et du maintien des enfants dans les différents niveaux d’éducation formelle et non formelle et en particulier dans l’éducation de base, notamment pour les filles, les enfants, les jeunes et les adultes en difficulté, vulnérables et défavorisés,
(ii) l’amélioration, sous tous ses aspects, de la qualité de l’éducation, notamment de l’efficacité interne et des conditions d’accueil à tous les niveaux,
(iii) l’amélioration de la pertinence des contenus des programmes pour les adapter aux besoins nationaux et internationaux des apprenants et au programme national de développement,
(iv) l’amélioration de la gestion (financière, pédagogique et administrative) et de la gouvernance du système d’éducation et de formation,
(v) la déconcentration des pouvoirs administratifs et la gestion du système vers les provinces, conformément à la Loi sur la Décentralisation (qui reste à promulguer), et
(vi) l'amélioration de la gestion des ressources humaines par la mise en place d'un dispositif de suivi et de promotion des carrières du personnel enseignant. Or, les évaluations et revues du DSCRP récemment menées tendent à démontrer que la pertinence de ces défis reste d’actualité.

Ces axes prioritaires restent pertinents en 2014. Il est clair que construction des nouveaux bâtiments ne saurait à elle seule palier aux insuffisances de ce secteur puisqu’elle ne répond qu’en partie au premier point de la stratégie (Accessibilité). Il est pertinent d’évaluer les avancées de ces stratégies set de les ajuster. D’aucuns évoquent le manque de ressources pour pallier aux insuffisances du système éducatif. Il est vrai qu’avec un budget de 8 Milliards de dollars, on ne peut pas tout faire, mais en canalisant ces ressources dans le développement humain, particulièrement dans l’éducation, il est possible de déclencher un effet domino qui aura un impact à court terme sur la création de l’emploi dans le secteur formel, et à moyen terme sur l’économie nationale.

Autres articles importants :
http://expressionrdc.blogs.lalibre.be/archive/2010/04/26/chantiers-education.html
http://planipolis.iiep.unesco.org/upload/Congo/Congo%20PNAEPT.pdf
http://www.africanmanager.com/detail_article_wp.php?art_id=4696
http://afrique.kongotimes.info/rdc/enseignement/5981-enseignants-obliges-parcourir-jusque-conditions-precaires-bancarisation-difficulte-arriere-pays-congo-enseignants-territoires-victimes.html

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