PMK: Je m’appelle Patrick MUYAYA Katembwe, Je suis né à Kinshasa en République Démocratique du Congo au début des années 80. Je suis journaliste de profession. J’ai fait une petite carrière dans ce domaine chez CEBS, de journaliste reporter au Président du Conseil d’Administration en passant par le présentateur du Journal télévisé. Dans l’exercice de ce métier de micro, j’ai eu l’avantage de rencontrer différentes personnalités du monde politique et du monde des affaires. Cette expérience m’a ouvert, à la politique.
SAS: Vous avez récemment décidé de faire de la démographie votre cheval de batail, pouvez- vous nous faire un état des lieux de la situation démographique au Congo et de ses projections ?
PMK: La question démographique me préoccupe au haut point parce qu’elle conditionne tout projet de développement. Ce qui m’a poussé à m’intéresser à cette question c’est le fait que le manque de planification et de gestion démographiques constitue un problème car que la croissance économique ne suit pas l’augmentation démographique incontrôlée.
C’est d’ailleurs pour cette bonne raison que je venais récemment d’adresser une question orale avec débat au Ministre du Plan en vue d’éclairer la représentation nationale sur la politique démographique mise sur pied. Le débat était d’une très grande portée et nous avons tous compris qu’il est urgent de concilier la croissance démographique avec tous les projets de développement, faute de quoi la pauvreté de la population ne fera qu’accroître. La croissance démographique est en partie responsable de l’augmentation du nombre réel de personnes vivant dans la pauvreté dans nos sociétés.
SAS: Quels chiffres avez-vous en votre disposition pour fonder ce jugement ?
PMK: A ce jour, à en croire certaines études, la population congolaise se chiffre entre 73 – 75 millions d’habitants dont 60 % des jeunes dont l’âge varie entre 1 et 20 ans. Cette tranche de population est quasiment désespérée. Les structures d’encadrement et d’accompagnement posent problèmes et le taux de chômage élevé. Il y a lieu de craindre que cela accroit si aucune politique claire et efficiente de planification et de gestion démographique n’est mise sur pieds, et en mouvement. Il est important de savoir que Le taux de croissance est de 3,1 %. Ceci veut dire qu’en 2025, la population congolaise atteindra 107.981.870 habitants, tandis que 155 000 000 d’âmes sont attendues en 2050 et en 2100 ce serait en milliards.
SAS: Quels sont les défis à relever
PMK: Les défis à relever sont immenses, à la mesure des problèmes qui se posent. Il y a déjà au niveau de la formation (de l’éducation) tant primaire qu’universitaire, une inadéquation entre le type de formation donnée et les besoins réels des populations. Il me semble qu’il faille réadapter notre système éducation au contexte. Par la suite, il faudra que des efforts soient consentis pour améliorer les revenus de la population active en vue de la rendre capable de répondre à ses besoins primaires. Aujourd’hui le revenu par habitant est très très faible et cela ne permet pas de penser sérieusement le développement national et communautaire. En effet, comme on le sait, c’est du développement de chaque membre de la communauté que dépend le développement de toute la société.
Le taux de chômage est aussi un défi majeur. Il a plusieurs causes : le manque ou l’inexistence des emplois rémunérés à juste valeur, l’exode rural et la rareté de l’emploi. Pour pouvoir espérer voir les choses changer, il faudra que le climat des affaires soit assoupli pour attirer les investisseurs tant nationaux qu’étrangers. L’objectif devra être l’utilisation de la main d’œuvre locale. L’exode rural explique aussi le chômage parce que 70% de la population sont attirés par les villes, laissant les possibilités d’emplois dans les régions rurales. Et le fait de la faible existence des emplois par rapport à la demande est une évidence contre laquelle il faut lutter. Dans tous les cas, il est question de la politique qu’on met sur pieds dans la gestion rationnelle de la population. Si les bouches à nourrir sont plus importantes que les ressources disponibles, on peut tout faire, cela n’aboutira à rien.
SAS: D’aucuns pensent que le Congo est sous peuplé et qu’il n’est pas urgent de parler de démographie, qu’en pensez-vous ?
PMK: Il est vrai qu’ayant une superficie de 2 345 000 km3 contre 73-75 millions d’habitants, la République Démocratique du Congo est relativement peu peuplé. Mais Il ne faut pas trop facilement lier démographie et superficie et croire que l’implosion démographique n’est pas un souci. Pour moi l’essentiel réside en la prise en charge de la population existante. C’est cela la bonne, honnête et sincère gouvernance.
Dans la problématique de gestion des populations, on table plus sur ce qu’on a plutôt que sur ce qu’on pourrait avoir. Cela relève de la possibilité et de la réalité. Si vous me posez la question de savoir s’il est possible de peupler tout le sol congolais alors je dirais Oui, nous en sommes capables. Mais en Réalité, sommes-nous en mesure d’assurer la prise en charge effective en termes d’infrastructures, scolarisation, soins de santé, alimentation et autres services publiques pour cette population ? La réponse est : NON.
La politique responsable et réaliste consiste à se poser la question de la capacité de charge. La croissance démographique n’est pas un démon, mais il faut savoir la gérer. C’est là que nos choix individuels influent sur le destin collectif.
SAS: Quelles sont les stratégies que vous préconisez ?
PMK: Cette question nécessite une vraie et réelle éducation, en partant de la base au sommet. Il nous faut éduquer nos populations à une fécondité responsable et assumée. Et je pense que c’est un des thèmes transversaux qu’il faille introduire dans la formation primaire, secondaire et universitaire. Pour les parents, il ne fait l’ombre d’aucun doute que les difficultés actuelles nous invitent tous à un changement de comportement dans la procréation. MANDLINE et LAPHALIN ont bien démontré qu' « une planification familiale bien conçue alliée à un bon programme de développement exercent de par effet conjugué, une influence indéniable sur l'indice de fécondité» .
SAS: Quels moyens avez-vous pour aider à résoudre ce problème (comment allez-vous forcer le gouvernement, comment allez-vous inspirer la population)
PMK: En tant que Député National, les moyens pour la réussite de ce combat sont nombreux. Je vous ai plus haut parlé de la question orale avec débat que j’ai adressé au Ministre du Plan sur cette question de planification et de gestion démographiques.
Le souci pour moi était que l’exécutif nous dise ce qu’il entreprend dans ce domaine de démographie. Il faut l’interpellation de nous tous, animateurs et acteurs des institutions publiques, sur l’importance que nous devons attacher à cette épineuse problématique plutôt que de la laisser entre les mains des ONG.
Pour la population, c’est la sensibilisation et encore la sensibilisation. Je fais déjà cette sensibilisation dans les milieux universitaires chaque fois que j’y suis invité pour une conférence, j’en discute chaque jour avec ma base et mes équipes. J’en ai fait mon credo.
Les expériences d’autres pays qui ont réussi dans ce secteur nous servent d’appui. Il n’y a pas de honte à dire que quelque chose est un mal : une guérison peut s’en suivre. Et donc la question de la démographie nous concerne tous : chaque fois que nous sommes butés à résoudre les problèmes vitaux de ceux qui nous sont plus proches, nous devons nous poser la question de savoir si nous n’avons pas fait des mauvais calculs… Et comme de fois les conséquences éduquent mieux que les conseils, nous sommes convaincus que le message passera.
SAS: Et que pensez-vous de ceux qui disent que c’est avant tout un problème de gouvernance ?
PMK: Il est vrai que plusieurs gouvernements qui se sont succédé n’ont pas accordé une attention particulière aux problèmes de population. Il est d’une part vrai que le problème de gouvernance peut se poser lorsque les ressources pouvant servir 1 millions de congolais, servent une caste des mandarins. Le détournement des biens communs a donc entraîné la misère de plusieurs.
Mais ce que je n’accepte pas du tout, c’est que les partisans de l’augmentation démographique proche de la superficie développent des thèses illusionnistes. Ils croient qu’il suffit de dire que le Congo est riche en sol et sous-sol pour pouvoir trouver des solutions aux problèmes immédiats. Les potentialités dont nous sommes pourvus peuvent servir d’orientation mais pas de gestion réaliste et honnête de la population.
D’autre part, on ne doit pas encourager la production humaine sur les espérances non encore matérialisées, et c’est de la force et capacité prévisionnelle des individus pris séparément qu’émerge une vision responsable au niveau de l’Etat. L’Etat ce n’est pas une juxtaposition des individus. C’est nous. Nous devons nous assumer. L’image du salarié que j’ai évoqué plus haut en dit long.
SAS: Vous poussez aussi sur le front de l’éducation et de la création d’emploi, comment ces deux solutions sont liées à la démographie ?
PMK: La réponse est simple : être éduqué permet d'avoir accès à l'emploi. L'emploi permet de gagner de l'argent et l'argent nous permet d'organiser notre vie et donc les liens sont très étroits entre les trois points au regard en référence aux études qui ont démontrées que l'accès à l'emploi ( argent ) en lui même est un contraceptif efficace en ce qu'il permet de faire une planification familiale conforme aux horaires parfois compliqués de travail, un souci d'un meilleur encadrement des enfants en leur assurant une prise en charge totale au plan social, scolaire et le coût y afférent etc.
La démographie en elle même ne constitue pas un problème. Notre plus grand défi se résume principalement à la maîtrise de celle ci et à l'urgence de mettre en œuvre des politiques et des structures qui permettent à notre Êtat de résorber des déficits énormes en terme de prise en charge totale de la population au plan scolaire, sanitaire, sécuritaire, judiciaire etc.. Il est tout aussi urgent de créer une adéquation entre les exigences du marché et la capacité de nos universités à produire des têtes compétitives et capable d'évoluer dans le marché de l'emploi du 21 siècle dominé par l'utilisation à tous les postes des NTIC.
L'emploi ne consiste pas seulement à occuper ceux qui ont eu l'opportunité d'aller dans les universités mais aussi tout ceux et c'est la majorité qui sont dans l'informel. Il est question ici de leur donner une opportunité d'exercer un métier. Dans une dynamique de reconstruction autant on a besoin des architectes autant on a besoin des maçons, peintres, carreleurs et consort.... Et donc la combinaison Éducation, création et accès à l'emploi permet de contenir l'évolution galopante de la démographie ou tout au moins permet une fécondité maîtrisée...
SAS: Interressant. l'humanité est sur le point d'evaluer les objectifs du milenaire et de definir les grands defis a a relever pour la prochaine generation. D'apres vous quels devraient être les nouveaux objectifs du millénaire, après 2015 ?
PMK: Je ne saurai être en mesure de dresser un bilan exhaustif de l'immense travail qui a été fait depuis l'an 2000 dans le monde pour l'atteinte de ces objectifs mais il y a lieu de saluer le progrès accompli quant à ce. Je ne saurai m'hasarder à tenter de faire le rapport entre ce qui a été fait par rapport à la population qui a grandi entretemps. Je ne saurai vous dire le nombre d'enfants âgés de 15 ans qui existe aujourd'hui. Sans dire que ces efforts ont été dilués par le nombre de nouveaux vivants. Je me risque cependant de dire que les résultats auraient pu être meilleurs que ceux obtenus si nous avions pratiqué une fécondité maîtrisée. Je crois que les huit Objectifs millénaires du développent sont très liés et de mon point de vue il faudrait peut être les recentrer autour de quelques objectifs principaux que sont :
- la réduction de l'extrême pauvreté à travers l'amélioration de l'accès à l'eau potable, l'énergie
Et surtout par la professionnalisation de l'agriculture et a la manufacture qui peut donner de l'emploi à beaucoup plus de gens sans grande qualification et servir de socle de développement.
- Investir massivement dans l'éducation puisque c'est elle qui permet au peuple de se prendre en charge. Réussir cet objectif permettra de régler de manière indirecte un certain nombre des choses notamment la lutte contre certaines maladies, la protection de l'environnement et autres défis.
- Faire de la maîtrise démographique une priorité sinon tous les efforts de développement risque d'être annihilés avec une explosion démographique incontrôlée
SAS: Merci beaucoup pour votre temps. Je vous souhaites bonne chance pour la suite de votre parcours et j’attend impatiemment l’occasion d’avoir un nouvel interview avec vous pour évaluer les progrès. Avez-vous autre chose à ajouter ?
PMK: Merci a vous Soraya pour m’avoir donné l’opportunité de m’exprimer sur ce sujet qui me tient tant a cœur. Pour l’instant il n’y a rien de particulier à ajouter si ce n'est d'inviter tous les compatriotes à s'engager pour le pays. Notre pays est jeune et nous avons tous les atouts pour réussir ce qu'il nous faut maintenant, c'est de nous engager un peu plus dans l'action citoyenne pour contrôler l'action de nos dirigeants. Et devenir acteur plus tôt que spectateur. Être très actif sur les réseaux sociaux c'est bien mais descendre au pays et prendre le risque d'y investir est mieux. Il nous faudra bien comprendre nos enjeux et définir la position qu'occupera chacun de ceux qui voudront s'engager à nos côtés pour le développement de notre pays.